Le Capilotracteur

Journal en attendant la fin du monde

27 février 2017

Retour.


A rouler des kilomètres ainsi, qu’espères-tu accomplir?

Bouffer du bitume au son de la roue libre.

Longue distance, pas la performance.

Mais pourquoi? Que cherches-tu à atteindre?

Dans le mouvement, perdre la pensée et ne pas laisser l’esprit divaguer.

Se recentrer.

La route.

Tourner les jambes, encore.

Les heures qui défilent et la surprise d’en perdre le fil.


Pendant la nuit, ce rêve, la planète qui se consumait et mourrait. Il n’y avait plus d’hivers, que des étés, il faisait 45 degrés et on disait « il va falloir s’habituer ». Ce matin, ce sentiment de réalité.

27 mars 2014

La sensation de perdre son temps, ici et maintenant. Il faudrait s’habituer à la perte et retourner le raisonnement, ou, du moins, le démantibuler. Après tout, être immobile et incertain n’est pas être perdu.

 J’essaye de vendre ma force de travail, mon temps (encore une fois !), mes « compétences ». D’un endroit à l’autre, je porte des feuilles qui me résument. On les prend en y jetant un coup d’œil, en me disant que c’est très calme pour le moment mais pourquoi pas. On vous rappellera.

Il est trop facile de dire quand les promesses sont faites sans engagement, sur un mode rhétorique.

26 mars 2014

De la tension à la maison. Peu de mots, mais des aller et retour fréquents, des gestes brusques, de la précipitation et la maladresse qu’elle entraîne. On brasse de l’air et les souffles qui nous frôlent expriment plus profondément l’inquiétude, qu’on voudrait irrationnelle; en dépit de nos discussions raisonnées de la veille.

Le matin, le goût du dentifrice après le brossage des dents, mélangé à celui du café d’autant plus fort qu’on a bu le dernier juste avant de presser le tube pour mettre un trait de pâte sur la brosse. Ce goût qui reste dans la bouche et qui accompagne le départ vers le travail, l’école, les obligations.

On ne dit rien, on écoute l’émission de radio. On pense dans le bourdonnement du moteur de la voiture, des réflexions tellement épaisses qu’elles font barrage à la discussion.

18 mars 2014

Un jour, j’ai décidé de me suicider pour voir ce que ça faisait. J’ai pris le seau en plastique sous l’évier et je l’ai installé sur la chaise au milieu du salon. Alors j’ai plongé la tête dedans et j’ai attendu. On m’avait un peu parlé de la noyade en me disant que ce n’était pas aussi inconfortable qu’on pouvait le penser. J’ai attendu. J’ai attendu encore longtemps mais rien ne s’est passé. Je ne suis pas mort. Personne ne m’avait dit qu’il fallait mettre de l’eau dans le seau. Depuis, j’ai très mal au dos.

14 mars

On n’a pas eu de grandes surprises hier. On aurait bien voulu, pourtant, mais tout s’est déroulé comme prévu, comme si la vie glissait le long de rails bien huilés. Pas une parole plus haute que la précédente, pas une larme, pas de tension ni de crise, non, calme absolu, mer d’huile et encéphalogramme plat.

Parfois je regrette les cris, la rage, les mots qui blessent. Ces gros morceaux d’émotions qu’on se balance à la gueule parce qu’on ne sait pas comment dire qu’on s’aime – ou que l’on ne s’aime plus. Depuis quand vit-on dans le royaume des faux-semblants? Les apparences se sont peu à peu cristallisées jusqu’à remplacer la réalité.

J’aimerais te dire que je n’ai plus besoin de toi, qu’en vérité, je ne t’ai jamais voulu dans ma vie. Mais ces phrases sont archi-congelées dans ma gorge. Il n’y a qu’en rêves qu’elles ressortent, humides et sales après avoir passé tant de temps dans la glace.

13 mars

Les petits aphorismes de la vie quotidienne, ces fragments de pensées qui s’imposent soudainement. Morceaux poétiques, parfois doux, parfois cruels, parachutés dans le cours de la réflexion. Les récupérer, les essuyer et les faire sécher, puis les partager.

11 mars 2014

Chaque jour à la même heure, le chat traverse la chatière précipitamment et me rejoins dans la cuisine en pleurant. Bizutage, Racket. Le pauvre. Qu’attend-il de moi? que j’explique aux autres matous qu’il est un peu différent mais pas méchant et que ce serait gentil de le laisser tranquille? Je ne le fais même pas pour mes enfants, alors pour lui…

Indifférence à la souffrance d’autrui qu’on m’a dit. Peut-être.

Les cerfs

30 octobre -2-

Au commencement, il y avait les vers. Ceux-ci vivaient dans la terre et se nourrissaient de cerfs verts. Ils passaient leurs vacances aux bords de mer. Un jour, les cerfs verts, appelés aussi « certs », décidèrent d’éliminer les vers. Ils les enfermèrent dans des boîtes de verre, avant de les lancer dans la mer.

En pyjama

30 octobre

 

On ne lui a pas pardonné quand il a fait n’importe quoi. C’est comme ça. Il a passé toute sa vie à être irréprochable et à tirer parti de sa perfection morale. Alors, quand il a commis une erreur, aussi minime soit-elle, ils lui sont tous tombés dessus. Ils ont débarqué un matin à son domicile. Il n’a même pas eu le temps de sortir du lit avant qu’ils ne le traînent dans son pyjama de soie pour le mettre dans le fourgon. Sans mot d’adieu ils sont partis et l’ont emmené loin, métaphoriquement.

Ma peau, mon envers

28 octobre – 2-

Aujourd’hui, je me suis réveillée dans le mauvais sens ; mes pieds sur l’oreiller, la tête dans le vide. Une sensation de retournement qui n’a pris toute sa dimension que lorsque je me suis regardée dans le miroir. La chair à vif et à nu, la peau vers l’intérieur. On me reproche d’être introvertie et me voilà à exhiber mon en-dedans à qui ne veut surtout pas le voir. Les secrets soudainement dévoilés et les apparences étouffées.

Et ces efforts pour se remettre à l’endroit. Prendre ce coin d’épiderme, le tirer, le tortiller, le détendre. Passer ici, puis là, refaire un tour, on y est presque ? Non, encore un peu à droite – ou à gauche, je n’ai jamais su faire la différence. Sans dessus, sans dessous. Voilà, c’est prêt, ce tas d’habits qui traînent sous le lit, là où il n’y a jamais de poussière.